samedi 2 février 2008

080202 Autorité et... soumission à l'autorité

à lire :

- "Soumission à l’autorité" (Ed. Calmann-Lévy, 1979), Stanley Milgram

- "Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens" (Ed. PUG, 2002), Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois

à voir
I ... comme Icare un film d'Henri Verneuil (1979)

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Les trois enseignements des expériences de Milgram

Des 18 variantes de son expérience, Milgram a tiré trois enseignements essentiels.

1- Le premier enseignement est la proportion de sujets soumis dans un groupe donné. Celle-ci diffère, sans doute, selon les 18 variantes de l’expérience destinées à étudier, sur le schéma élémentaire de base, l’influence de facteurs divers. Ainsi a-t-il examiné la proximité du sujet par rapport à sa victime qui accroît le taux de désobéissance, tout comme le soutien de deux camarades. L’illégitimité de l’autorité en la personne d’un allié de même statut que le sujet ne peut, au contraire, obtenir de lui qu’il fasse souffrir plus longtemps l’autorité légitime qui a pris la place de l’élève. Il en est de même encore de l’illégitimité de l’autorité découlant d’une salle ordinaire, non dédiée à la recherche scientifique, comme un laboratoire universitaire.

Il reste qu’a été établie une moyenne de 63 % de sujets soumis de préférence à l’autorité malveillante plutôt qu’aux exigences de leur conscience morale. Certains paraissent même n’éprouver aucune difficulté à infliger, sur ordre, jusqu’à trois fois 450 volts à une personne qui ne leur a rien fait !

Beaucoup, néanmoins, connaissent une tension dramatique, écartelés qu’ils sont entre les deux obligations incompatibles, celle de l’autorité et celle de leur conscience. Afin de diminuer cette tension, les uns plaident la cause de l’élève auprès de l’adjoint du professeur Milgram qui surveille le déroulement de l’expérience, pour lui éviter une décharge ou pour tout simplement arrêter l’expérience ; d’autres encore profitent de l’inattention de l’adjoint pour venir au secours de l’élève par des mimiques soufflant les réponses. Ils n’en continuent pas moins de se soumettre aveuglément à l’autorité malveillante.

2- Le deuxième enseignement éclaire le mécanisme qui fait la puissance de l’argument d’autorité, ou mieux du leurre d’appel autoritarien pour reprendre l’adjectif adopté par Milgram.
Trois phénomènes expliquent cette soumission aveugle.
1- L’un est un phénomène de syntonisation où le sujet, « sur la même longueur d’onde » que l’autorité, est en état de réceptivité maximale vis-à-vis d’elle. Cette syntonisation présente deux aspects.

1- Elle entraîne une acceptation aveugle de la situation définie par l’autorité, au prix d’une abdication par le sujet de son intelligence et de son idéologie personnelle.

2- Elle provoque ensuite une limitation étroite du champ de perception du sujet : les cris de douleur de la victime restent cantonnés en lisière de perception, voire carrément oubliés.

2- Un deuxième phénomène est celui de l’intégration de l’individu autonome au sein du système hiérarchique que Milgram nomme « l’état agentique ». On en relève deux manifestations :

2.1- L’une est l’abandon du contrôle personnel par le sujet sur les actes prescrits par l’autorité : si l’éducation apprend à l’individu à maîtriser ses pulsions asociales, jamais ne lui est enseigné un contrôle personnel des actes imposés par l’autorité.

2.2- Il s’ensuit une réorientation du jugement moral du sujet : il fait de l’autorité le seul juge du Bien et du Mal, et, par conséquent, de l’obéissance le critère du Bien et de la désobéissance, le critère du Mal.

3- Le troisième phénomène, conséquence des deux premiers, est l’abandon de toute responsabilité. Celui-ci découle de l’enchaînement de trois attitudes complémentaires :

3.1- L’une conduit le sujet à ne plus percevoir son acte comme émanant de lui-même.

3.2- L’autre l’amène, en effet, à l’imputer exclusivement à l’autorité qui le lui a prescrit.

3.3- Au rétrécissement du champ de perception correspond, enfin, le rétrécissement du champ de la responsabilité :

a- l’individu se sent comptable (responsable) de l’exécution de l’ordre ;

b- mais il ne se sent pas responsable du contenu de cet ordre ;

c- les vertus célébrées deviennent « le sens du devoir », « la loyauté » et « la discipline ».

3- Le troisième enseignement explique la raison de cette soumission aveugle.
Elle est le résultat d’une prédominance de l’éducation à la soumission à l’autorité dans l’apprentissage même de la morale du groupe. Les diverses règles que, pour sa survie, le groupe juge nécessaire d’inculquer à ses membres, font sans doute l’objet d’un apprentissage conditionné, selon la méthode alternant récompense et punition. Mais, au-delà du contenu de ces règles, pour l’adoption par l’individu de chacune d’elles, c’est encore la soumission aveugle à l’autorité qui est, simultanément à chaque fois, exigée de lui.


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source AGORAVOX (Paul Villach)